L’image de la femme au foyer dans l’art contemporain

La modernité, dans sa logique de progrès et de rupture avec le passé, s’est traduite en art par une succession de mouvements artistiques. Ces mouvements n’ont eu de cesse, durant tout le siècle de repousser les limites de l’art, tout en s’imprégnant de cet esprit de nouveauté. Le post-modernisme, par l’effondrement de la croyance en les grands récits, (la bible, le communisme, le capitalisme, le progrès technologique) a  eu pour conséquence une sorte de négation de la nouveauté, mais également des limites et des hiérarchies. L’essentiel des œuvres actuelles sont imprégnées de cet esprit postmoderne. Ainsi, négation de limites, de nouveauté et de hiérarchies dans l’art a induit une infinité de formes et d’attitudes, si bien qu’il est désormais impossible de penser l’art actuel en termes de mouvements ou de catégories. Eleanor Heartney, avec  son ouvrage Art et aujourd’hui rend parfaitement compte de cette dimension « mosaïque » de l’art actuel.

Partant de ce constat, Zig-Z’art a choisit d’approcher l’art contemporain à la manière d’Eleanor Heartney, non pas en cherchant à catégoriser, mais en travaillant selon une micro-étude, c’est-à-dire utiliser un thème ou une problématique pour aborder l’art à l’échelle micro, ou encore « scalpèlisée ».  Autrement dit, notre approche revient à tenter d’analyser à chaque fois un petit carré de cet art mosaïque.

Ainsi, nous avons décidé d’axer cette rubrique sur un choix peut être provocateur et humoristique, qui est celui de l’utilisation de l’image de la femme au foyer et de ses attributs dans l’art des quarante dernières années. Un thème qui pourrait passer pour misogyne, ou  l’inverse d’ailleurs, c’est à vous de voir.

L’art contemporain et… la femme au foyer. Quelle drôle d’idée ! Tout à fait représentative d’une nouvelle génération de femmes qui refusent de choisir entre le rôle de femme au foyer, de mère, d’amante, et de femme active. Et pourtant, l’usage de l’image de la femme au foyer et de ses attributs dans l’art des quarente dernières années ouvre, lorsque l’on se penche sur certaines œuvres, des perspectives beaucoup plus larges que ce que l’on pourrait croire, des perspectives dont cet article tente de dresser un aperçu.

Au XXe siècle, la question de la femme dans la société a largement été traitée, très souvent par les femmes elles-mêmes. Comme le montre très bien Françoise Battagliola, le travail des femmes s’est au XXe siècle largement affranchie de tâches proprement féminines (couture, repassage, blanchisserie) pour occuper des emplois auparavant réservés aux hommes. Cette évolution du travail féminin, s’accomplissant de plus en plus hors du cadre ménager et familial, a été un des facteurs de l’évolution du statut des femmes. Ainsi, bon nombre d’artistes réfléchissant sur le statut de la femme ont utilisé l’image de la femme au foyer. Connue pour ses broderies inspirées de revues pornographiques, l’artiste Egyptienne Ghada Amer s’est attachée dans ses premières œuvres à représenter des femmes exerçant des tâches ménagères. Lorsqu’elle retourne en Egypte en 1988 après une dizaine d’années à l’étranger, Ghada Amer tombe sur un numéro de Venus, un magazine de mode égyptien.  Elle y trouve des mannequins portant des vêtements de marques occidentales adaptées aux exigences de l’islam. A la fin du magazine, des patrons étaient proposés pour permettre aux femmes de créer leurs propres modèles.  Ce numéro, qu’elle conserve précieusement deviendra le point de départ de sa broderie figurative. Au début des années 90, l’artiste utilise ce médium pour représenter le rôle domestique que la société attribue à la femme. Dans la série Cinq femmes au travail, 1991, l’artiste utilise le fil pour représenter des femmes réalisant les tâches traditionnellement féminines : les tâches ménagères. Il n’y a en réalité que quatre femmes représentées, la cinquième étant l’artiste elle-même en train de coudre.

L’artiste utilise donc la broderie, tâche traditionnellement utilisée par les femmes, que cela soit au foyer, ou dans un cadre « professionnel ». François Battagliola dans son ouvrage sur le travail des femmes explique très bien qu’aux XVIIIe et XIXe siècle, il existait des corporations exclusivement féminines liées au travail du textile. Les postes de direction étant bien sur réservés aux hommes. Cette réalité historique transparait dans les broderies de Ghada Amer. Une seconde pièce de cette époque, La femme qui repasse, 1992, fut réalisée sous le même procédé. Une sorte de permanence de la soumission de la femme aux tâches ménagères est alors mise en évidence à travers des femmes contemporaines qui utilisent des aspirateurs et des fers à repasser hypermodernes, représentées par l’artiste qui exécute une activité traditionnelle telle que la borderie. Le côté laborieux de ces tâches est souligné par la minutie et le travail ardu de l’artiste.

A travers ses photographies dans lesquelles elle se met en scène, l’artiste Américaine Cindy Sherman a également été amenée à user de l’image de la femme au foyer. Dans sa célèbre série Untitled Films Stills, 1997-1980, une série de 69 photographies en noir et blanc, l’artiste se met en scène telle une héroïne de films. Ses images, bien qu’évoquant un univers cinématographique identifiable (la nouvelle vague, Hitchcock ou encore le cinéma italien des années 1960), dépassent ces références pour tendre vers un discours sur la femme et ses archétypes : la femme élégante, la femme fatale, la femme au foyer… En faisant référence au cinéma, elle évoque les modèles véhiculés par le cinéma, la télévision et les médias en général  avec lesquelles les femmes évoluent, des modèles qui influencent de manière plus ou moins directe la construction de leur identité. Mais Cindy Sherman transcende les modèles et les références pour proposer une réflexion plus large sur l’image de la femme dans la société, celle des années 1970-1980, mais qui de par une sorte d’intemporalité peuvent tout autant trouver des échos dans la société actuelle. On a ainsi pu avoir à travers ces exemples comment l’image de la femme au foyer à été utilisée par les artistes féminines pour mettre en avant un questionnement autant sur la place de la femme dans la société, que sur l’image, ou plutôt les images, les archétypes et les représentations de la femme.

Néanmoins, les femmes ne sont pas les seules à s’être intéressées à l’image de la femme au foyer. D’autres artistes, tous sexes confondus ont questionné cette image, cet archétype, mais non pas pour évoquer la question de la femme, mais pour mettre en scène une réflexion sur la société.

La femme au foyer et ses attributs comme reflets de la société

Nous l’avons vu, Degas, avec ses Repasseuses, avait pour but dépeindre les difficultés de la classe ouvrière, un moyen de parler de la société et de son évolution. L’artiste Américain Duan Hanson ne fait pas autre chose que Degas avec sa Supermarket Lady, 1969-1970. Cette sculpture hyperréaliste en polyester et fibres de verre, grandeur nature, représente une femme un peu forte, portant des vêtements tout ce qu’il y a de plus classiques, avec ses bigoudis dans les cheveux, et un foulard sur la tête qui ne fais que dévoiler ces gadgets de beauté un peu « ringard » plus qu’il ne les cache. La ménagère pousse un caddie de supermarché débordant  de produits qui envahissent les supermarchés avant de venir coloniser nos réfrigérateurs. Une description qui force les traits, mais à peine à bien y regarder. Il est question ici de représenter, loin des Marylin et des Jacky Kennedy, les héros oubliés de l’Amérique profonde, celle des grosses dames en bigoudis, des touristes un peu niais et des bedonnants qui passent la tondeuse. Là encore, cette description un peu moqueuse raisonne comme une caricature, et pourtant, c’est cette ambiance qui est véhiculée par les œuvres de Duane Hanson. Pourtant, l’artiste ne tend pas à être aussi moqueur. Ses sculptures, visent surtout à dresser une sorte de sociologie de la classe moyenne américaine, parfois même des classes défavorisées, bref, les classes laissées pour comptes, un peu oubliées qui pour une fois sont mises sur le devant de la scène. La perfection technique, qui exclue totalement la présence l’artiste dans l’eouvre, tend ainsi à donner un côté froid, distancié, presque objectif. La Supermarket Lady, première d’une longue série de portraits aussi saisissants que réalistes, représente donc un de ces nombreux produits de la société de consommation, et des classes un peu oubliées des Etats Unis parce presque trop ordinaires. On a ici l’image d’une ménagère Américaine moyenne qui semble être représentée comme à la fois victime et actrice de la société de consommation.

L’artiste Américain Jeff Koons, en grand encenseur et sacralisateur de la société de consommation ne s’est pas directement intéressé à l’image même de la femme au foyer ou de la ménagère, mais s’est attaché à un de leurs attributs, qui apparaît également chez Ghada Amer : l’aspirateur. En effet, dans sa série New Hoover Deluxe Shampoo Polishers, 1981-1987, il sacralise des aspirateurs en les enfermant dans des caisses de plexiglas auto-éclairées de néons. Il élève ainsi un objet des plus triviaux au rang d’œuvre d’art, en oubliant pas bien sur d’évoquer leur dimension anthropomorphe et  sexuelle, avec une petite référence aux Ready Mades de Duchamp. Il s’agit ici autant de sacraliser des objets issus de la société de consommation que tenter de rendre l’œuvre d’art familière à tout un chacun en utilisant des objets du quotidien. Pour en revenir à la femme au foyer et ses attributs, cette œuvre prit une dimension très ironique lorsque ces aspirateurs ont été installés dans l’Antichambre du Grand Couvert, à Versailles, lors de la rétrospective de Koons en 2008. Il s’agit d’une pièce aux murs ornés exclusivement de portraits de femmes. Y placer une série d’aspirateurs au milieu de ces femmes a ainsi (re)révélé une petite note d’humour et de provocation, deux ingrédients essentiels à la recette de l’œuvre de Koons. Cette petite anecdote, une fois liée au sujet qui nous intéresse n’en n’est que plus amusante !

Enfin, nous avons pu constater que certains artistes se sont emparés de cette image de la femme au foyer, non pas pour mettre en avant un discours critique ou dénoncer tel ou tel stéréotype, mais tout simplement comme prétexte, ou toile de fond pour aller vers autre chose. cette image de la femme au foyer, non pas pour mettre en avant un discours critique ou dénoncer tel ou tel stéréotype, mais tout simplement comme prétexte, ou toile de fond pour aller cers autre chose.

L’image de la femme au foyer, un simple prétexte

Sortie des considérations sur le statut de la femme et sur la société, l’image de la femme au foyer, ou plus généralement de la femme exerçant une tache ménagère, nous est apparue peut représentée. Néanmoins, il existe des œuvres qui mettent en scène des femmes jouant le rôle de la ménagère, sans que le propos ne soit centré ni sur la femme elle-même, ni sur la société. C’est le cas d’une des œuvres du duo de photographes Français Cécile Hesse et Gaël Romier. Ce couple,est adepte d’univers étranges et loufoques mis en scène dans des photographies très léchées, toujours empruntes d’une atmosphère particulière et décalée. Alors, quand Cécile Hesse et Gaël Romier s’emparent de l’image de la femme au foyer, on obtient une image à la fois familière et perturbante, dans laquelle une femme, vêtue d’un corset d’un autre temps, dans une cuisine tapissée d’une tapisserie rose type années 70, est en train d’éplucher des chaussures à talon avec un économe. Parallèlement, celui qui bien que n’ayant pas d’alliance pourrait être son mari, est en train de tondre les poils d’un balai  avec une tondeuse à cheveux manuelle, avec comme toile de fond la même tapisserie cette fois-ci dans les tons de bleu. On peut bien sur ici retrouver les clichés sur la vie conjugale et les rôles respectifs donnés à l’homme et à la femme, surtout quand on sait que les deux photographes sont unis par les liens sacrés du mariage. Néanmoins, de par son caractère intemporel et décalé, ce discours un tant soit peu réducteur est vite évacué au profit d’une sorte d’étrangeté et d’humour, et d’une atmosphère qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres surréalistes.  Ainsi, l’usage de l’image de la femme au foyer et du mari exerçant des tâches de mari n’est qu’un prétexte, un point de départ. Une situation familière est alors utilisée pour basculer vers autre chose, le stéréotype n’est là que pour créer le décalage entre des images préconçues et  une situation loufoque et un peu absurde. Mais les images de Cécile Hesse et Gaël Romier sont suffisamment  ouvertes pour laisser une grande part d’interprétation pour celui qui les regarde.

Nous avons donc pu voir, à travers ces différents exemples, comment les artistes se sont servit de l’image de la femme au foyer ou de la ménagère. Si certains artistes comme Ghada Amer en ont fait, à un moment de leur carrière, leur cheval de bataille, l’usage de l’image de la ménagère autant que de ses attributs reste relativement peu présente dans l’art contemporain. Cette image de la femme définie par son rôle de ménagère a, de ce que nous avons constaté, surtout été utilisée par les femmes, pour évoquer autant ses archétypes que le statut de la femme dans la société. Hors de ce contexte, cette image est usitée seulement de manière sporadique. Ce sujet, bien que n’étant pas parmi les plus essentiels ni les plus actuels, méritait selon nous de s’y intéresser, parce qu’il fait partie des nombreux angles d’approche que l’on peut donner à l’art contemporain, et parce que s’intéresser à cette image nous a permis d’aborder des artistes et des démarches très diverses. S’intéresser à l’image de la femme au foyer, c’est finalement s’intéresser à des question de société, et c’est une fois de plus l’occasion de mettre en avant le fait que l’art et l’histoire de l’art sont loin d’être des disciplines isolées, et sont peut être le meilleur miroir, ou les meilleurs jauges des avancées ou des reculs de nos sociétés.